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NON, L'ADOPTION POLYNÉSIENNE N'EST PAS "OPEN BAR"

 


Une affaire judiciaire fait grand bruit en ce moment à Tahiti : celle d'un couple jugé pour "adoption illégale" qui a finalement été relaxé, comme les parents biologiques.
Petit résumé de l'affaire : 
La justice reprochait aux protagonistes de n'être passé par aucune institution pour l'adoption de l'enfant et pour l'un des parents adoptants d'avoir fait, en mairie, une reconnaissance préalable de paternité, devenant ainsi le père officiel du bébé à naître au détriment de son père biologique. 
Le tribunal a estimé que cela ne constituait pas un fond punissable puisque l’argent dépensé par les adoptants a servi uniquement à préserver la santé de l’enfant et de la mère. Quant à la fausse déclaration de paternité, elle n'a permis qu'à faire bénéficier à l'enfant d’une couverture sociale. En effet, la filiation parentale n’a pas été rompue car la mère a bien reconnu son enfant. 
Un dossier abondamment commenté, on s'en doute, sur les réseaux sociaux et par certains médias dont RADIO1 qui a publié (sous la signature de Florent Collet) un article intitulé bizarrement Fa'a'mu : la fin de "l'open bar" (voir lien en fin d'article) 
dont les termes n'ont pas manqué de choquer et blesser puisqu'on y parle, s'agissant de ce que l'on appelle ici le fa'a'mu, de dérives conduisant à des sous-adoptions et d'une pratique relevant, comme le titre l'indique d'un "open bar", les guillements n'atténuant pas vraiment la caractère insultant employé.
En d'autres termes, des parents adoptifs potentiels n'ont qu'à se servir dans les familles polynésiennes comme dans un catalogue...

DES RÉACTIONS OUTRÉES
Un tel article, aussi méprisant que caricatural, a provoqué une cascade de réactions chez beaucoup de monde, et notamment chez les familles ayant vécu un fa'a'amu, aussi bien biologiques qu'adoptantes.
Il est normal de leur donner un droit de réponse.
Myriam Pradet, présidente de l'association MAEVA qui, sur son site, précise clairement, dès la page d'accueil qu'elle ne propose pas d'enfants à adopter et qu'elle n'a pas, non plus, pour vocation de promouvoir l'adoption en Polynésie, tient à faire passer le message suivant :

Les jeunes adultes et adolescents polynésiens adoptés en métropole qui ont eu connaissance de l’article, sont outrés. 

Nous connaissions l’expression sous-homme, pas encore celle de sous-adoption. 

Jamais nous n’aurions imaginé que dans un journal de notre Fenua, nous soyons étiquetés comme issus d’une sous-adoption, une sorte de sous-produit. Quelle humiliation !

Comment peut-on utiliser ce type de propos : « open bar » en parlant d’adoption ?

Derrière chaque adoption, il y a 2 familles et un enfant. C’est une insulte à nous-mêmes les enfants adoptés, à nos parents de naissance et à nos parents adoptifs.


Nous ne sommes pas des consommables, mais le résultat de la plus belle preuve de confiance mutuelle. Vous pouvez en déduire que si nous sommes adoptés, c’est que nos 2 familles se sont d’abord réciproquement adoptées.

Quant à l’expression, « le parquet général siffle la fin de la récréation », une honte.

La volonté de devenir parents ne peut être dénigrée. Quel irrespect d’assimiler les parents adoptifs à des irresponsables qui s’amusent à adopter et à nous réduire, nous enfants adoptés, au statut d’objets.

Bien sûr, certains diront, ce sont des images. Nous, nous disons, ce sont des propos accrocheurs et racoleurs. La langue française est suffisamment riche pour recourir à des expressions empreintes d’objectivité et d’humanité qui nous auraient, au minimum, respectés.

Nous sommes certes encore jeunes, moins de 20 ans pour certains, moins de 30 ans pour d’autres, mais nous avons une maturité suffisante pour ne pas partir de cas particuliers en vue de discréditer un sous-groupe, pour savoir qu’ici la généralisation revient à dénaturer la réalité.

Sachez qu’une DEAP ne s’obtient pas en cochant des cases sur un formulaire ou en scannant un code barre.

La Délégation de l’Exercice de l’Autorité Parentale (DEAP) ne s’obtient pas à la vitesse d’un scan de code barre. Elle ne peut être accordée que par un juge (JAF) après des entretiens, une enquête sociale, et une enquête de gendarmerie, ce qui prend plusieurs mois.

Le dénigrement se poursuit au niveau des professionnels. Aucune considération pour les compétences et le travail des services sociaux de la DSFE et de la gendarmerie, assurant les enquêtes en vue de la DEAP, pour la JAF, les entretiens qu’elle assure auprès des 2 familles, la synthèse de l’ensemble de la situation et sa pratique professionnelle.

Il faut des contrôles pour éviter les dérives, nous dit-on. 

Ah bon, c’est nouveau, qui vient de faire cette découverte ? 

Il y a bien longtemps qu’ils existent ces contrôles. Ils sont indispensables et nous les approuvons. 

Dans cet article tout le monde est déconsidéré : les parents polynésiens ne savent pas ce qu’ils font, les adoptants n’ont aucune éthique et les professionnels qui encadrent les DEAP sont niés.

Nous, les coauteurs de cet article, connaissons des centaines de jeunes adoptés qui viennent de l’ASE de métropole, du Vietnam, de Corée, du Brésil, du Guatemala, d’Inde, du Mali ou d’ailleurs. Ils sont tous hantés par les mêmes questions : « à quoi ressemblent ceux qui m’ont donné la vie ? Ai-je des frères et des sœurs ? Pourquoi m’ont-ils abandonné … ? » Questions lancinantes qui restent sans réponse et dont les effets négatifs s’ajoutent aux séquelles d’un début de vie sans famille. 

Et c’est ce modèle que certains veulent imposer aux parents polynésiens. Déposez vos enfants en pouponnière et repartez la conscience tranquille sans jamais savoir ce qu’ils deviendront. On décidera pour vous.

Nous, les enfants adoptés polynésiens, avons la chance de connaître notre histoire, notre famille de naissance, nous savons à qui nous ressemblons, nous n’avons pas subi de séjour en structure collective sans parent, notre passage d’une famille à l’autre s’est fait en douceur, avec beaucoup d’amour de part et d’autre. Et nous pouvons apprécier notre bonheur, et celui de nos 2 familles, lorsque nous nous retrouvons tous ensemble lors de nos retours.

De toute évidence, ceux qui prônent le modèle métropolitain n’ont pas été adoptés.

Merci à vous, peuple polynésien, d’avoir plus de bon sens et de cœur que les lois sur l’adoption qui sont brandies comme modèles.

et ce communiqué est co-signé de :

Timeri, Maereva, Nathalie, Teva, Laurie, Juliette, Moana, Audrey, Patiare, Théodore, Estelle, Manuiti, Florian, Léa, Mareva, Benoît, Aurélie, Lolita Hei-Maohi, Rodolphe, Anouk, Valérie, Clément, Vanina, Manon, Nicolas, Maïmiti, Fanny.


Un autre témoignage, individuel, signé JB est également très éloquent sur son expérience personnelle :

Né en 1998, en métropole, sous X, ma mère biologique ayant décidé de m’abandonner, j’ai été adopté en 1999.

Mes parents avaient déjà une fille, née en 1997, qu’une famille polynésienne avait décidé de leur confier pour une adoption. Voilà pour vous situer le contexte.

Encore aujourd’hui, je trouve totalement fou, que ma sœur adoptée en Polynésie, née à 16000 km de la métropole, connaisse ses origines et sa famille, alors que pour ma part je ne connais absolument rien de mon histoire, même après consultation de mon dossier. Mes questions resteront toujours sans réponse. Comment se construire sur ce vide ? Pourtant, ma famille biologique habite peut-être la même ville que moi. 

En 2017, pour la seconde fois, nous sommes revenus tous les 4 à Tahiti pour passer quelques semaines avec la famille biologique de ma sœur. Au cours de ce séjour, je me suis aperçu que pour ses frères et sœurs j’étais aussi leur frère, pour ses cousins je n’étais pas que son frère mais j’étais aussi leur cousin et les oncles et les tantes étaient aussi les miens.

Quand ma famille m’a dit qu’il était envisagé d’obliger les parents polynésiens à déposer les enfants en pouponnière, moi qui n’aime pas écrire, j’ai décidé de vous raconter mon histoire.

Je ne souhaite à personne de rester sans parents pendant des mois et de ne jamais savoir d’où il vient.

Cette famille polynésienne qui, au départ était celle de ma sœur, nous a adopté nos parents et moi-même, me permettant ainsi de compenser une partie du vide lié à ma naissance.

Aujourd’hui grâce à cette adoption mutuelle, nous avons la chance d’évoluer, ma sœur et moi, dans une famille à double culture. Mais surtout et avant tout, nous sommes une FAMILLE. 

Le fa'a'amu est un sujet hyper sensible qui se heurte à un mur : les textes de loi d'une part, implcables et inhumains. Ce sont des articles, des règles, à respecter. Point final. Et, d'autre part, des aventures humaines qui se transforment en histoires d'Amour entre deux familles qui s'adoptent entre elles. On a tendance à dire que, vu de l'extérieur, on ne peut pas comprendre cette pratique ancestrale typiquement polynésienne. Car oui, il y a eu des abus et des cas qui se sont mal passés. Mais ni plus ni moins (et d'ailleurs même sans doute moins...) que dans des familles "classiques".



Commentaires

  1. Simplement Merci!
    Tellement triste de ces amalgames traumatisants et inhumain que des journalistes en recherche de spectacle peuvent nous lancer à la figure nous parents adoptifs de familles Polynésiennes.
    Car en effet, ce sont nos familles qui avons la chance de s'unir pour la vie !
    Et quel cadeau de vivre cet Amour Polynesien partagé!
    Merci Merci Merci!!!

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